C'est lorsqu'un type pas banal, un penseur, souvent misanthrope il faut bien le dire, bute contre un fait universellement admis. Darwin, Freud, et Galilée étaient de cette graine de penseur, et quitte à y laisser leurs têtes, ces derniers n'ont pas hésité à attaquer de front nos faits universellement admis, nos petites certitudes.
Un fait universellement admis, c'est quoi ?
C'est un mensonge qui arrange tout le monde, mais à quel prix ? Ces mensonges fonctionnant toujours à crédit, ils opèrent un racket quotidien sur la vie des hommes, sur leurs consciences. Ce n'est pas le portefeuille qui est visé, mais l'esprit, l'intelligence et la puissance de chacun d'entre nous. Un être qui se ment est un raté. Une société qui se ment fabrique des ratés, et puis c'est tout.
Darwin, Freud, et Galilée sont ces êtres d'exceptions qui ont refusé ce racket de l'âme. Loin de se laisser vampiriser par les facilités qui leurs étaient offertes, ils ont démonté consciencieusement les mensonges sur lesquelles repose la paix sociale.
Nos 3 blessures narcissiques ?
1. Galilée a découvert que la terre est ronde, ou plutôt il a démenti le fait que la terre puisse être au centre de l'univers. Galilée a fabriqué un monde où nous autres, patentés terriens, ne sommes plus que des fourmis accrochées à un rocher perdu dans l'espace, un rocher parmi d'autre. Plus grave encore, là haut les corps célestes qui recouvrent le ciel nocturne ne nous regardent pas. Nous ne comptons pour personne. Depuis Galilée, l'homme est seul dans l'univers, et il ne peut plus compter que sur lui-même. Réveil difficile pour l'humanité qui se consolera avec l'enfermement à vie de ce terrible messager pourvoyeur de vérité.
2. Darwin a découvert que l'homme descend du singe, ou plutôt il a démenti le fait que l'homme puisse avoir été crée par Dieu, et qui plus est à son image. Avec Darwin, l'homme perd son créateur. Darwin a fabriqué un monde où nous autres, patentés terriens, ne sommes plus que des primates qui ont bénéficié d'un heureux hasard du destin. L'homme n'a plus de certitude ontologique sur son être, à présent il doit lutter sans cesse pour contenir en lui le retour à l'animalité. Heureusement pour Darwin, sa théorie de l'évolution des espèces donna un nouvel argument au tout venant pour bouffer du curé. L'ennemi de mon ennemi étant mon ami, Charles a donc pu garder le bénéfice de sa liberté.
3. Freud a découvert l'inconscient, ou plutôt il a démenti le fait que l'homme ait une connaissance explicite des idées qui traversent son esprit. Avec Freud, l'homme se découvre un nouveau danger : lui-même. L'homme qui avait déjà perdu son centre par Galilée et son créateur par Darwin, apprend désormais qu'il a perdu l'esprit ! Freud a fabriqué un monde où l'homme apprend qu'il n'y a jamais eu de pilote dans l'avion. Un monde où l'homme doit composer avec un ennemi intérieur que l'on ne pourra jamais identifier et tuer une bonne fois pour toute. On dit également que l’œuvre de Freud a réhabilité la Bible, Sigmund qui mourut en 1939 ne sera donc pas consumé - de justesse - par le retour aux origines païennes et sanguinaires orchestré par le Führer... un homme aux idées très modernes soit dit en passant.
La quatrième blessure narcissique, ou plutôt la première ?
Il y a une blessure narcissique dont on ne parle jamais, sans doute parce qu'elle dérange plus que les autres, mais aussi parce que la cicatrice est encore loin de s'être refermée. Cette blessure narcissique dont on ne parle jamais est en fait la toute première, et celle dont découle toutes les autres.
Je parle bien entendu de la blessure narcissique que nous a infligé le Christ. Avant son sacrifice, nous vivions dans l'indolence et le confort moral. A chaque fois que la foule se trouvait une victime expiatoire, nous étions persuadés d'être dans le juste, d'agir pour la bonne cause. Le sacrifice de quelques-uns pour le bien de tous, voilà qui était légitime. La victime, l'être sacrifié méritait son sort : voilà ce que nous disent les mythes. Œdipe l'incestueux parricide méritait l'enfer, et son expulsion par la cité de Thèbes était aussi nécessaire que salutaire. Tous nos mythes racontent la même histoire, et nos mythes sont nombreux. C'est à chaque la même histoire : un individu, souvent exceptionnel, s'élève au-dessus des autres puis retombe brutalement. Sa fin est toujours terrible : Thésée est expulsé de sa propre citée et jeté sournoisement d'une falaise, Romulus est littéralement déchiré par les mains des patriciens, tandis que Jules César, personnage réel, succomba au cent coup de couteaux que lui infligèrent les sénateurs de Rome.
Le Christ est celui qui a pris la place du sacrifié mais sans jamais en accepter les honneurs et les éloges qui l'accompagne. Le Christ a prouvé par son sang et son humilité que la victime est toujours innocente, et que la foule doit régulièrement consommer des bouc-émissaires sous peine de se désunir.
Le Christ s'est sacrifié, et ce faisant livra la preuve de son innocence, lui qui mena une vie irréprochable et exemplaire. En prouvant son innocence, c'est l'innocence de toutes les victimes précédentes qu'il prouve également. A présent, la foule humaine ne peut plus sacrifier quiconque sans souffrir en son âme et conscience. La foule humaine ne peut plus être la foule unanime et bienpensante qu'elle était jadis. Le Christ nous inflige la première blessure narcissique, la seule qui compte vraiment si je puis dire, à savoir que nous sommes tous coupables. Nous sommes tous des pêcheurs que seul la miséricorde divine peut venir sauver.
Au delà de la blessure narcissique, le Christ nous annonce bien davantage, une ultime prophétie qui se dessine déjà sous nos yeux, j'ai nommé : l'Apocalypse.


